Hier, il n'a pas été possible de sortir avec HALIOTIS pour faire des prélèvements et des sondages comme la mer était trop agitée pour avoir des mesures de qualité. L'équipe s'est donc repliée sur le traitement des données acquises les jours précédents, et Elsa en a profité pour me présenter le projet ODySéYeu (voir l'article d'hier).
Aujourd'hui, il fait grand beau et j'ai donc rendez-vous au port de plaisance à bord d'HALIOTIS pour suivre cette journée de sondage. La vedette océanographique HALIOTIS fait partie de la flotte de l'IFREMER qui contribue, par ses travaux et expertises, à la connaissance des océans et de leurs ressources, à la surveillance du milieu marin et du littoral et au développement durable des activités maritimes. HALIOTIS est la plus petite unité et permet de travailler dans des zones où les fonds sont trop faibles pour les autres navires. Ces instruments peuvent explorer le fond jusqu'à une centaine de mètres. Le navire (10m pour un déplacement de 5 tonnes) peut se déplacer tout le long de la côte grâce à un camion-grue qui assure le transport et les manœuvres de mise à l'eau en autonomie. Il est armé par deux personnes, un Patron, en charge de la navigation, et un Officier Electronicien, en charge des appareils de mesure, accompagnés d'un ou deux scientifiques. Voir les caractéristiques complétes d'HALIOTIS.
Ce petit bateau me plait bien avec son profil particulier, son gros groupe électrogène de 12 kVA (!) pour pouvoir faire fonctionner les appareils de mesure (et la clim' au besoin...), et des ordinateurs de partout... Il ne lui manque qu'un peu d'hydraulique et une grue pour que je le trouve parfait ! C'est visiblement un navire pensé pour le travail qu'il a à effectuer. Une bizarrerie pourtant : en dix ans de service, il n'y a toujours rien pour s'asseoir en face des ordis pendant les longues heures à observer les écrans. Aussi Renaud, l'Officier Electronicien, s'improvise un siège avec des caisses de rangement du matériel, le tout amélioré avec un coussin...
Sous la conduite d'Elsa, la petite équipe met au point le programme de la journée : d'abord quelques prélèvements de sable devant le Port et vers Mayence, puis une fois que la marée aura montée suffisement route vers Fromentine pour faire des sondages le long de la côte entre Noirmoutier et le Pont d'Yeu.
Plage arrière d'HALIOTIS
Elsa et Renaud mettent au point la méthodologie des prélèvements.
Avant de réaliser un prélèvement de sable, Renaud envoie une caméra au fond afin d'avoir des images complémentaires pour aider à caractériser le fond marin.
Ensuite, le bateau se repositionne à la position du prélevement et on envoie la benne "Van Veen" afin de collecter des sédiments au fond.
Benne Van Veen
Les sédiments collectés sont emballés et identifiés pour pouvoir être étudiés plus tard afin de déterminer leur(s?) origine(s?) et de connaitre leur histoire.
Un prélèvement inhabituel puisque une sole et un coquillage ont été remontés à bord avec le même coup de benne ! Tous deux ont été relachés, mais l'exploit n'a pas tardé à être transmis aux collègues (jaloux !) de l'IFREMER et entrera probablement dans la légende !
Que du sable cette fois !
Une fois les prélèvements effectués nous mettons en route pour Fromentine.
Horizon.
A donf !
Une fois arrivés à l'entrée du chenal de Fromentine, les sondeurs sont mis en marche et nous tirons de longs bords parallèles à la côte jusqu'à St Jean de Monts en passant par dessus le Pont d'Yeu, afin de relever la nature du fond et essayer de localiser les gisements de sable.
Préparation de l'itinéraire des sondages.
HALIOTIS est équipé de trois sondeurs, chacun ayant son usage particulier. L'un émet un son assez aigu (12.5 kHz, peu audible) qui pénétré peu le sol mais permet d'avoir une indication sur le type de roche ou sédiment en analysant l'écho. Le deuxième émet un son plus grave et audible (qui est en fait un balayage de fréquence autour de 5 kHz) et produit un son qui pourrait ressembler à la voix de R2D2. Il en tire son nom de 'chirper' (gazouilleur), qui cache à peine le coté agaçant de la chose au bout de quelques heures... Grâce à lui on est capable de sonder le substrat en profondeur et de visualiser les différentes couches de sédiments au fond de la mer. J'ai pu clairement voir (grâce aux regards aiguisés d'Elsa et Renaud !), le chenal 'historique' de Fromentine creusé dans la roche et maintenant recouvert de sable au SE de la position du chenal actuel. Le troisième, le sondeur multi-faisceaux (600 en tout !), permet de sonder le fond sur une largeur égale à 5 fois la profondeur et d'avoir une cartographie précise et en 3D de la zone prospectée.
D'autres équipements spécifiques peuvent être embarqués en fonction des besoins des scientifiques, comme un sondeur produisant des ondes de choc en créant des arcs électriques sous l'eau. L'ancien groupe électrogène était un peu juste pour alimenter tous ces appareils et il a été remplacé par un plus puissant, ce qui explique la forte puissance électrique disponible à bord.
On parcourt la côte à la vitesse de 4 noeuds, dans un sens puis dans l'autre, les données s'accumulent sur les disques durs et les chirps du chirper deviennent entêtants... Pour mettre un peu d'ambiance, Serge allume la radio calée sur Neptune FM. Sauf qu'on est mercredi après-midi... Quiconque a écouté la radio un mercredi après-midi à l'Ile d'Yeu, comprendra de quoi je veux parler ! Serge et Renaud découvre ce pan de la culture Islaise avant de changer de station...
Elsa, Sédimentologue.
Elsa m'explique l'évolution du trait de côte au fil du temps et comment elle et ses collègues ont retrouvé l'ancien cours de la Vie qui coule maintenant à St Gilles, du temps où l’île n'était pas une île, au N de sa position actuelle à l'aide de photos aériennes en analysant la végétation. Elle me montre qu'on le repère nettement dans les sondages des jours précédents. Pendant qu'elle me parle de tout cela, j'essaie de m'imaginer le paysage d'alors et j'entends la voix du Docteur Emmett Brown entre deux chirps me dire : "Marty, il faut raisonner en 4 dimensions : en 1985 le pont sera construit au dessus du ravin Clayton".
Renaud, Officier Electronicien.
Après avoir beaucoup observé et beaucoup réfléchi, j'ai une pile de questions grande comme ça à poser à Renaud sur le fonctionnement de ses jouets. Comment la nature du sol est déterminée ? Comment la marée est prise en compte dans les sondages ? Comment les mouvements du navire sont pris en compte pour avoir des mesures précises ? Comment le sondeur multi-faisceaux fait pour ne pas se mélanger les faisceaux ? Etc, etc... Ses réponses me passionnent. Je ne les détaillerai pas ici parce que c'est un peu technique et que ce n'est pas l'objet de cet article, mais je me dis que son métier est des plus intéressant !
Serge, Capitaine.
La journée est faite, le chirper enfin stoppé et nous rentrons à l’Île d'Yeu. La campagne de sondage durera jusqu'à la fin de la semaine et une autre est prévue l'année prochaine. Autour de l’Île, cette fois !
J'ai passé une journée très intéressante à bord d'HALIOTIS en compagnie d'Elsa, Renaud et Serge. Je vais continuer à suivre le travail de l'équipe d'ODySéYeu : la prochaine phase se déroulera à terre dans les dunes...
Pour en apprendre plus sur le projet OdySéYeu : https://www.facebook.com/ODySeYeu/